A Gurutzi
Parler d’une amie, parler de l’amitié : projets, engagements, rires et silences, gestes et regards, notes prises à une incroyable vitesse. Parler d’elle, c’est nécessairement trop parler de soi ; c’est une forme d’impudeur ou d’inconscience, si ce n’est l’extrême de l’arrogance. Et puis, quoi ! Cette amitié était loin d’être exclusive, elle reposait sur le partage. Gurutzi avait tant d’amis ! Voyez, combien d’entre eux lui sont arrachés et restent la rage au cœur … Misérables !
Par son action même, cette amie est une sorte d’emblème. Notre mémoire est là qui nous presse à le dire, barnetik, bihotzetik. Nous t’avons rencontré, Barandiaran, Ander et toi puis tous ces amis d’Etniker que tu as su rassembler, mettre en ordre de marche, amicalement mais fermement. Efficacité et pragmatisme, nos projets de vie furent chamboulés. En mesurons-nous la portée ? Alors que nous ne demandions rien de particulier, si ce n’est d’avancer, comme tout le monde, tu étais là. Une grâce (une de plus) nous a été offerte sur nos chemins de vie. Quel fut notre mérite ?
La presse a souligné à bon droit, les qualités du chercheur que tu es. Je ne m’y attarderai guère. Tu m’avais fait l’honneur de me demander de faire un compte-rendu de ton beau travail de recherche « Origen y significación de las ermitas de Bizkaia ». Tu nous le dédicaçais gentiment, à ma femme et à moi, en 1999 ; c’était à Ainhoa. Œuvre fondamentale, à lire et à relire, de même la synthèse publiée une dizaine d’années plus tôt dans le tome 3 de « Euskaldunak, la etnia vasca » et qui accompagne une synthèse toute aussi féconde d’Ander sur le thème de l’etxe. Je l’appréciais d’autant plus qu’ayant conduit des recherches sur le rituel funéraire traditionnel en Iparralde (équipe constituée dans le cadre d’une bourse Barandiaran obtenue par notre association Lauburu), nous avions dû nous immerger dans cet auzo que tu connais si bien, cœur du cœur de l’organisation et de la dynamique de notre pays. Là, on y rencontre l’Homme, celui qui sait combien il coûte de vivre et de vivre pleinement, honorablement. Dans ce cœur de l’auzo qui s’estompe (ou résiste ?), on pouvait toucher du doigt l’espoir chrétien qui nous porte. Eskerrak Zuri Jauna ! Dans la même optique je me dois de dire ton indissociable travail capital, paru en 3 tomes, sur les ermitas de Biscaye. Il y a là, à n’en pas douter, une trame permettant de comprendre où et comment se concrétisèrent nos liens avec le sacré et notamment ce que de rares chercheurs pensaient, à savoir que nous fumes christianisés en même temps que les autres européens, ni plus tôt, ni plus tard, mais à notre façon, à celle de nos goûts comme à celle de nos moyens, de la côte au fond des vallées. Mais ce que je veux souligner avec force, Gurutzi, c’est que dans ton voyage, tu es partie seule, le bloc-notes à la main, comme tu me le disais, tendue vers l’écoute, le fuyant, l’incertain des faibles échos émanant du cœur de la Bizkaia, de ta chère Bizkaia. Tu as installé ce thème au cœur de la grande Recherche, là où observateur et observé ne font qu’un et qui ouvre dans ce qu’il est convenu d’appeler « le résultat ». Ce faisant, tu nous as très concrètement signalé le bout de ton aventure, sur le bord de l’abime de la connaissance ; loin des ors et du convenu, là où l’on ne peut que tendre l’oreille et gouter le prix de l’effort. Là où l’on réalise tout ce qu’il y a de beau et de dérisoire dans notre aventure humaine. Tu nous as aidé à y rencontrer l’Homme total. Fou celui qui ose penser que nous pourrions oublier une telle avancée ; que nous pourrions t’oublier !!
Et puis je me dois de rendre hommage à ton exceptionnelle capacité d’organisation dans le respect de tous et dans la fragilité de l’entreprise commune. Une entreprise qui fut le rêve de notre maître à tous et à toutes dans Etniker, mais dont la dimension faisait peur. Mais pas à toi. Quel culot ! Car tu savais le prix de l’action, Ermitaña, tu l’avais payé de ta personne. Sans de si rares gens comme toi, nous serions condamnés à être de ces hordes que le vent disperse et qui vont surfant sur la première vague venue. Troupeau dérisoire, grapillant çà et là quelques satisfactions, comme quelques jouissances, puis délaissant ce que notre naturelle inconséquence abandonne à l’oubli. Nous léguerions un pays où la mémoire émiettée ne serait qu’inutiles déchets, traversés d’imprévus voyageurs que nos enfants seraient, se frayant d’improbables chemins, chacun pour soi, sans carte ni boussole. Voyageurs venus d’un rien et se perdant dans le pas grand-chose, contraints à l’affligeante banalité d’un héritage défiguré, folklorisé (un si beau mot perverti !), sauvagement rentabilisé en eusko-land. Comme dans ces pays où l’on exhibe « des racines » afin d’attirer, de maintenir sur place puis de vider les cartes bancaires. C’est la logique strictement commerciale, celle qu’affiche certains venteros …
Avec Etniker, qui doit tant non seulement à notre adorable maître Barandiaran, mais à toi aussi, nous n’avons eu de cesse de nous immerger au plus profond de nous afin de mieux nous ouvrir au monde. Une façon de naître ! Sans ta gentillesse, ta délicatesse, ta connaissance de la pratique même de la recherche, ton organisation (le cahier de compte-rendu de nos séances !), ta redoutable efficacité alliée à ton incroyable capacité de travail … grâce à ce que tu es et qui est emblématique, nous avons pu nous hisser parmi les meilleurs de l’édition basque comme de la mémoire de ce coin d’Europe, alors que nous étions sur les routes et les chemins, au cœur des etxe, dans les griffures des ajoncs et le parfum des étables … Loin des ors, des péroraisons de gens en costume et cravate, mais qui disposeront désormais d’une matière robuste et authentique, comme jamais ne fut.
On se retrouvera Gurutzi, n’en doutons pas ! En attendant nous ne t’entendrons plus, nos yeux ne te verront pas, nos bras se refermeront sur notre désarroi. Mais nous te savons là. Plus que jamais peut-être. Pour nous chrétiens tu as pris la matière de notre espérance :« ongia egiten duena Jainkoarena da » (Joaniren 3ren gutuna, 11).
Michel Duvert. Etniker